Questions à Jean-Paul Delevoye

La réforme des retraites est un enjeu majeur de société. Nous avons l’opportunité de poser la question de l’efficience et de la justice du système sans être contraints par l’urgence budgétaire immédiate qui a caractérisé les dernières réformes, et notamment la fusion de l’AGIRC et de l’ARRCO.

La création d’un système unique de valorisation des carrières et de calcul des droits va indéniablement dans le bon sens. Cependant, comme souvent, le diable se cache dans les détails, et dans la trajectoire. J’ai regardé avec attention la première vague d’annonces du début de la semaine. Entre vulgarisations à outrance des organes de presse et flou des discours du politique et du monde syndical, j’aurais quelques questions à poser.

De nombreux articles parlent de « fusion des 42 régimes de base » ou de « régime unique ». Où se situe l’unicité ?

  • Est-ce un régime unique, au sens régime juridique précisant les cotisations, la valorisation et le calcul des droits ?
  • L’État restera-t-il en auto-assurance pour le risque vieillesse ?
  • Est-ce un organisme gestionnaire unique ? Quel est l’intérêt de garder des structures différentes si les règles de gestion sont rigoureusement identiques ? Les trois fonctions publiques délégueront-elles la gestion de ses pensionnés au régime général comme il peut le faire pour l’assurance chômage en lieu et place du SRE ?
  • Les deux ?

Un aspect majeur de la réforme est l’alignement progressif des régimes spéciaux (sous-entendu, tous les régimes de bases hors régime général). Le mot d’ordre est « Tout euro cotisé ouvrira les mêmes droits ». Principe louable. Cependant, il convient de préciser ce principe :

  • Est-ce que cela concerne les euros cotisés uniquement par le salarié, ou également les euros cotisés par l’employeur ?
  • Dans le second cas, les proportions entre la part salariale et la part employeur ont-elles vocation à être harmonisées entre tous les employeurs ? Les employeurs de régimes spéciaux déficitaires cotisent bien plus que les employeurs du régime général. Dans ce cas, le principe « tout euro cotisé ouvre les mêmes droits » ne règlerait pas l’injustice : les employeurs de régimes spéciaux – donc des organismes publics, continuerait sur-contribuer au montant de la pension des salariés de ces régimes. À défaut, le régime permettra-t-il à des employeurs privés de sur-cotiser volontairement pour leurs salariés, en lieu et place des supplémentaires privées ?

En ce qui concerne la fonction publique, le haut commissaire annonce intégrer les primes au calcul. Très bonne nouvelle, cela rendra enfin les choses comparables. Certes, les droits acquis pourraient être mis de côté avec un calcul de la pension à date de la réforme et création d’une soulte. Cependant, en pratique, je n’arrive pas encore à percevoir comment cela va s’opérer :

  • Intégrer les primes implique de payer des cotisations sur ces primes et donc d’avoir des droits sur ces primes.
  • L’État va-t-il compenser cette augmentation de l’assiette soumise à la part salariale par une augmentation mécanique du traitement de base ? Cela aurait des conséquences importantes sur le budget de l’État, et ferait porter la charge de la réforme induite par une petite partie de la population sur l’ensemble des contribuables. Cela ne reviendrait, du moins en transition, qu’à déplacer l’injustice.  D’autant plus que cette hausse compensatoire des traitements pourrait être revendiquée par les nouveaux entrants à terme, ce qui ne ferait que dégrader durablement et mécaniquement la masse salariale des trois fonctions publiques.
  • L’État va-t-il baisser le taux de cotisation sur la part salariale ? Cela induirait une moindre cotisation et annulerait donc en partie l’élargissement de l’assiette en termes « d’euros cotisés » et induirait donc une baisse des pensions/du taux de remplacement.
  • L’État va-t-il baisser le taux de cotisation sur la part salariale en augmentant celui de la part employeur ? Cela reviendrait à augmenter durablement la masse salariale des trois fonctions publiques, et de faire porter ce maintient de pension sur l’ensemble des contribuables. Le raisonnement est ici similaire à la question du paragraphe précédent.
  • L’État va-t-il laisser le régime actuel ouvert pour les agents publics en poste lors de la mise en place de la réforme ? Cela conduirait à une fermeture extrêmement lente de l’ancien régime, de l’ordre de 80 ans jusqu’au décès du dernier assuré. Cela ne parait guère compatible avec la temporalité politique et conduirait à complexifier la lisibilité du système en conservant deux modes de calcul en parallèle.
  • L’État va-t-il simplement soumettre ces primes aux cotisations salariales et patronales sans aucune forme de compensation ? Cela serait le plus logique à long terme, mais représenterait une baisse sur le traitement net significative. Les nouveaux entrants dans la fonction publique choisiraient en connaissance de cause, en revanche, la position est plus délicate à tenir pour les fonctionnaires déjà en poste.
  • La solution viendra-t-elle de la temporalité de la trajectoire, où l’intégration des primes se ferait progressivement sur une dizaine d’années au cours desquelles les compensations sur traitement brut par le budget de l’État pourraient être vues comme une monnaie d’échange contre le maintien du gel du point d’indice ?

Le principe « Tout euro cotisé donne les mêmes droits » n’induit pas que des droits seront ouverts sans avoir été cotisés. Ces avantages non contributifs constituent le cœur de la solidarité de notre système de retraite et ne doivent pas être négligés.

  • Cependant, là aussi, les règles de calcul seront-elles alignées ?
  • Comment seront-ils financés ? Par le système assuranciel lui-même ou sur le budget de l’État ?